mercredi 23 novembre 2016

Film: "Les Résistants du train fantôme"


Film écrit et présenté par Guy Scarpetta

Version tv 52 mn
Version cinéma 84 mn

Réalisé par Jorge Amat

Produit par Alkimia productions 




Le film évoque la vie et les luttes de quelques-uns des 750 déportés résistants qui furent acheminés vers Dachau, pendant deux mois, l'été 44, dans l'un des derniers trains de la mort, le train fantôme…
" LE TRAIN FANTÔME " fait partie des derniers convois. Le plus long dans son déroulement, le plus malchanceux car il devance inexorablement l'étendard de la liberté que représente la montée des alliés en Provence
En route vers le camp de Dachau, en Allemagne, le train fantôme, a mis deux mois pour arriver à sa destination, pour un trajet qui se faisait généralement en trois jours !


    YOUTUBE film annonce          https://youtu.be/J3KShjlaT-0


30 juin 1944. Le débarquement en Normandie a eu lieu, la France peu à peu se libère. C'est au milieu de ce champ de bataille, alors que la défaite allemande se profile, que la France de Vichy va livrer un des derniers convois de déportés aux Nazis. Les services de sécurité du Reich estiment en effet que la masse impressionnante des détenus des prisons et des camps français ne doit en aucun cas grossir les rangs des Forces Alliées débarquées en Normandie, mais au contraire participer dans les camps de concentration à l’effort de guerre allemand.

Résistants, Juifs, communistes, Républicains espagnols, Italiens antifascistes, Polonais, hommes et femmes, quelque 750 personnes au total, vont traverser un pays en proie à la grande bataille de la libération.
Cette “ commission mobile pour le contrôle et la vérification de la ferraille ” (allusion aux gares peuplées de wagons éventrés, de locomotives détruites par l'aviation alliée), selon l'expression ironique adoptée par une partie des déportés, deviendra bientôt "le Train fantôme", sillonnant pendant 54 jours une France hagarde, tantôt bienveillante, tantôt hostile.




Tout commence à Toulouse, le 3 juillet 1944. Sur les quais de la gare de marchandises Raynal, un train part. Le débarquement en Normandie presse la constitution des convois à destination des camps. Dans les wagons à bestiaux, près de 550 prisonniers juifs, Résistants, réfugiés espagnols et italiens sont entassés depuis la veille. Ils viennent de la prison Saint-Michel, de la caserne Caffarelli, des camps du Vernet et de Noé.

    Tournage Gare Raynal de Toulouse

 Le train passe par Bordeaux pour gagner Paris puis l'Allemagne. Mais le parcours est chaotique. La Résistance et les alliés le mitraillent, font sauter des ponts et facilitent les évasions. Tout est fait pour contrer l'avancée du convoi.

À Angoulême, le train, bloqué, revient alors à Bordeaux. Du 12 juillet au 9 août, les femmes sont enfermées à la caserne Boudet et les hommes à la synagogue. Certains sont fusillés.

Quand le train repart, 150 prisonniers du fort du Hâ ont rejoint le convoi. Dans les wagons, la chaleur est insupportable. La nourriture manque, l'eau aussi et le chemin, pourtant, est encore long.

Carcassonne, Nîmes... Ils remontent la vallée du Rhône tandis que les Résistants continuent de retarder le convoi. Le 18 août, la locomotive est bloquée à Roquemaure. Les Allemands décident de rejoindre la gare de Sorgues à pied pour prendre un autre train. L'Allemagne et ses camps se rapprochent.

 Le convoi arrive le 28 août à Dachau après deux mois de cauchemar pour un trajet qui se faisait généralement en trois jours ! Le “Train fantôme” restera dans l'histoire comme le plus long dans son déroulement. Guy Scarpetta




 NOTE D’INTENTION


Qu'est-ce que le « Train Fantôme » ? L'un des derniers convois de déportés, qui mit près de deux mois, depuis son premier départ de Toulouse, à transporter sa cargaison de prisonniers vers Dachau. Cela, en juillet et août 1944, alors que la France se libérait, que l'aviation alliée bombardait les gares et les voies ferrées, que les maquis faisaient sauter les ponts, sabotaient les rails. Ce nom de « Train Fantôme » lui fut donné très tôt, parce qu'il ne cessait d'apparaître, de disparaître, de s'évanouir dans la nuit, de se recomposer, de réapparaître, avec son chargement de damnés, un peu comme le vaisseau fantôme des légendes.
 Un train où furent entassés, dans des wagons à bestiaux, autour de 750 déportés, dont une soixantaine de femmes, presque tous résistants, et de toutes les nationalités d'Europe, livrés par la police française aux Allemands.
 Aucun convoi de déportation n'a mis aussi longtemps à atteindre sa destination. Aucun, non plus, n'a compté autant d'évasions (autour de 200).
 536 déportés de ce convoi ont été immatriculés à leur arrivée à Dachau – dont près de la moitié n'a pas survécu à l'enfer des camps.
 Je n'ai cessé, depuis une quinzaine d'années, d'être hanté par cette histoire méconnue, enfouie et ignorée pendant longtemps, et aujourd'hui encore très largement évacuée de la mémoire officielle.
 Au point d'avoir eu envie de la ressusciter concrètement, de lui donner vie, par des mots et par des images, par des souvenirs et des témoignages.




Au-delà de la chronique

 Il se trouve que mon propre grand-père, Guido Palmino, un résistant d'origine italienne opérant dans le département de l'Indre (dans la zone d'influence du maquis du Limousin dirigé par Georges Guingouin), arrêté à la fin de 1942, puis interné au camp de concentration français du Vernet, en Ariège, où le régime de Pétain avait parqué par milliers les « étrangers indésirables », a fait partie de ce convoi. Pendant longtemps, dans ma famille, on a tout ignoré de cet épisode. Je savais que Guido était mort à Dachau, le 1er février 1945, près de deux ans avant ma naissance, mais personne n'était informé, autour de moi, de ce terrible voyage qui avait précédé son arrivée au camp. Cela ne m'est parvenu que peu à peu, presque par hasard : c'est au milieu des années 90 que j'ai appris qu'une amicale s'était créée, dans le Vaucluse, non loin de l'endroit où je passe régulièrement l'été depuis des années, vouée à faire connaître ce chapitre oublié de l'histoire de la déportation. A partir de là, tout s'est enchaîné.
 Lorsque j'ai entrepris, il y a sept ans, de reconstituer la vie de ce grand-père, d'en exhumer ce qui était plongé dans l'obscurité, j'étais encore loin de deviner où cela allait m'entraîner. Au fur et à mesure que je consultais des archives, des documents, que je lisais les quelques récits sur cet épisode, que j'interrogeais, surtout, les derniers témoins, et les derniers déportés survivants, il m'est apparu que tout un monde enfoui s'ouvrait à moi ; que cette enquête excédait de très loin la pure chronique familiale.
 C'est de l'intérieur, en quelque sorte, et dans l'écriture d'un roman (GUIDO, paru chez Gallimard en 2014), que j'ai découvert tout un pan encore mal connu de l'histoire de la Résistance et de la Déportation – et pressenti que celle-ci comportait encore bien des angles morts.

Du roman au film

 Cette histoire, dans le roman, obéissait à un principe simple : tout devait être vu à travers le regard du personnage principal, de Guido. Il y avait donc bien des éléments dont j'étais informé, mais qui ne pouvaient pas trouver leur place dans un tel récit.
 Autour de Guido, apparaissaient des personnages fascinants, dont la vie (d'une extraordinaire richesse) ne trouvait, sauf exception, pas place dans le livre.
 Des événements, aussi, essentiels, mais dont Guido ne pouvait pas avoir connaissance, et que j'avais dû par là même renoncer à intégrer dans le roman.
 En somme, j'avais recueilli dans mon enquête tout un matériau non utilisé.
 D'où l'idée qui m'est venue d'élargir le champ. De me focaliser sur la part documentaire de cette enquête (l'histoire des résistants du Train Fantôme), mais de mettre en lumière tout le contexte historique et dramatique dans lequel cette histoire s'inscrivait.
 L'idée s'est imposée à moi que c'était là la matière d'un film.
 La rencontre avec Jorge Amat, dont j'appréciais énormément les films documentaires (sur les Brigades Internationales, sur les camps français, sur le groupe Manouchian, sur l'esprit de résistance présent chez les déportés) m'a convaincu que c'était lui le meilleur complice qui soit pour mener cela à bien.




Camp du Vernet 1944

Camp du Vernet 1944


 Camp du Vernet- Ariège

Prisonniers du camp du Vernet 1939-1944

Le premier parcours du train

 Le 30 juin 1944, le camp de concentration du Vernet, passé directement sous le contrôle des nazis trois semaines auparavant, est évacué. Qui sont les 403 derniers détenus ? Des républicains espagnols, qui avaient rejoint la Résistance ; des anciens des Brigades Internationales ; des antifascistes italiens, immigrés, et qui avaient eux aussi prolongé en France, contre les occupants et leurs valets, le combat commencé en Italie contre Mussolini ; des Allemands et Autrichiens antinazis, qui avaient cru trouver refuge dans les « pays de la liberté », des Tchèques, des Yougoslaves, des Polonais, et des représentants de toutes les nationalités d'Europe – pour la plupart internés en raison de leur participation, en France, à la Résistance.

Maquis Français
Maquis de Bir Hakeim fondé par les frères Roquemaurel
Ces 403 détenus sont dirigés vers Toulouse. C'est de là que part, le 2 juillet, ce Train Fantôme où ils seront entassés dans des wagons à bestiaux, souvent à plus de 60 par wagon, tandis que des voitures de voyageurs, intercalées, accueillent les feldgendarmes de l'escorte.



Prison St Michel Toulouse 2016



 On leur adjoint plus de 150 prisonniers, issus de la prison Saint-Michel de Toulouse, où ils étaient incarcérés. Parmi eux, des FTP, des membres de l'Armée Secrète, des résistants de divers mouvements (Combat, Libération) – et notamment plusieurs membres de cette mythique 35ème brigade FTP-MOI de Toulouse, composée de combattants d'origine étrangère, qui avaient accompli, pendant deux ans, des centaines d'opérations armées contre les occupants (sans doute le groupe de résistants, dans cette région, que les nazis redoutaient le plus). Beaucoup de ces nouveaux prisonniers avaient été battus, torturés.
 24 femmes, elles aussi détenues pour faits de résistance, sont ajoutées au convoi, où on les enferme dans un wagon spécial, qui leur est réservé.

 Commence alors un calvaire de deux mois. La tentative, alors que les voies ferrées du Limousin sont coupées (le maquis de Guingouin contrôle toute la région, et s'efforce d'entraver tout déplacement allemand vers le front), de contourner l'obstacle en passant par Angoulême. Les rails sabotés, les gares détruites, les longs arrêts, les retours en arrière, les nouveaux départs – et dans les wagons la soif, la faim, la chaleur suffocante, l'insupportable promiscuité.
 Le mitraillage du train, à Parcoul-Médillac, par l'aviation alliée, qui l'avait pris pour un convoi d'armement allemand, provoquant des morts, des blessés.
 Le train revient à Bordeaux, repart, y retourne, lorsqu'il fut acquis qu'au-delà d'Angoulême la voie était impraticable.


Une synagogue transformée en prison

 Les détenus, après cette errance de onze jours, sont enfermés dans la synagogue de Bordeaux, désaffectée, profanée, et transformée par les autorités allemandes en annexe de la prison. Les femmes sont dirigées vers une caserne, où elles sont à leur tour enfermées.
 Les hommes internés à la synagogue vont passer quatre semaines dans ce local saccagé, surpeuplé. Mal nourris, envahis par la vermine, en butte aux brimades et aux sévices des gardiens de l'escorte, ils apprennent à se connaître, et ne baissent pas la tête.


Lautman otage fusillé

Peyre-Vidal fusillé de la synagogue

 Ils organisent même, le 14 juillet, une cérémonie patriotique, où, à la barbe de leurs gardiens médusés, l'un d'eux (Noël Peyre-Vidal, un dirigeant de la Résistance dans l'Ariège) improvise un discours exaltant la libération du territoire, prône le retour de la République que le régime de Vichy avait voulu anéantir, fait acclamer le nom du général de Gaulle – et où tous, unanimement, chantent La Marseillaise.

 A la fin de ce même mois de juillet, dix d'entre eux sont choisis, pris en otage, et seront fusillés par les nazis au camp de Souge (Le « Mont-Valérien » de la région bordelaise) – en représailles après l'exécution par des résistants d'un chef local de la Résistance qui avait « passé un accord » avec la Gestapo (la fameuse « affaire Grandclément »).

La marche forcée

Marche forcé 17 km 

 Le 9 août, les prisonniers sont dirigés vers la gare Saint-Jean, où le Train Fantôme a été reconstitué. On leur adjoint alors 150 nouveaux déportés, des résistants du Sud-Ouest, auparavant incarcérés au Fort du Hâ de Bordeaux ; parmi eux, une trentaine de femmes. Le train commence alors la deuxième étape de son parcours : très lentement, avec des arrêts prolongés, il se dirige vers la vallée du Rhône, utilisant les rares tronçons de voies encore utilisables, pour tenter de remonter vers le Nord. A Remoulins, nouvelle immobilisation prolongée du train : les ponts que le convoi devait emprunter, à hauteur d'Avignon, ont été détruits, ou endommagés, par l'effort conjoint des résistants et de l'aviation alliée. On décide alors de faire remonter le train jusqu'à Roquemaure, où l'on fera traverser le Rhône aux déportés, le 18 août, avant de leur imposer une marche forcée de 17 kilomètres, sous un soleil torride – jusqu'à la gare de Sorgues, sur la rive gauche du fleuve, au nord d'Avignon, où un train a été reformé à l'identique, dans lequel on va de nouveau enfermer ces centaines de détenus à bout de forces.


Ange Alvarez premier évadé.

 Les évasions se sont multipliées depuis le départ de Bordeaux. A Sorgues, ce sont une trentaine de prisonniers, activement aidés par les cheminots, qui parviennent à s'échapper de la gare – avant d'être recueillis et cachés par plusieurs habitants du village, et de trouver refuge dans les maquis de la région.

 Une image ? Ce cortège de plus de 700 déportés, hirsutes, sales, couverts de sueur et de poussière, assoiffés, harassés, rudoyés par les gardiens de l'escorte, subissant la terrible chaleur caniculaire des mois d'août provençaux, avançant vaille que vaille, certains titubant, d'autres tombant, frappés d'insolation, s'évanouissant, jetés dans le camion des « invalides » qui fermait la colonne. Cela, pendant 17 kilomètres, au milieu des vignes de Châteauneuf-du-Pape. Et pourtant, en traversant les rues de ce village, ils trouvent la force de chanter, à nouveau, La Marseillaise. Comme pour indiquer aux habitants, repoussés à l'intérieur de leurs maisons par les gardes allemands, qui ils étaient – et leur suggérer que ces parias, ces proscrits, ces réprouvés, étaient la France, à ce moment-là...
 Plusieurs d'entre eux me l'ont raconté. La Marseillaise : pour les uns, c'était avant tout un chant national ; pour d'autres, un chant républicain ; pour d'autres encore, un chant révolutionnaire. Et pour beaucoup, les trois à la fois.


Les obstacles, et leur fatidique franchissement

 Pour ceux que l'on a enfermés, à Sorgues, dans le train reconstitué, le calvaire continue. Le 15 août, les armées alliées avaient débarqué dans le Var, et entrepris la reconquête et la libération du territoire, en remontant la vallée du Rhône, avec l'appui des maquis locaux : le train ne les précède que de quelques jours.
 A Pierrelatte, le 19 août, un nouveau mitraillage de l'aviation fait cinq morts (dont Jacob Insel, grand résistant juif polonais, l'une des figures de proue de la 35ème brigade FTP-MOI de Toulouse), et de nombreux blessés.
 Au nord de Montélimar, un détachement des maquis de la Drôme tente une opération de commando pour libérer les prisonniers, mais ces maquisards, inférieurs en nombre face aux gardes nazis de l'escorte, doivent finalement se replier.
 A plusieurs reprises, des ponts sont détruits, et de nouveaux transbordements sont effectués. Ailleurs, les voies ferrées ont été sabotées – on imposera à des cheminots réquisitionnés, sous la menace des mitraillettes allemandes, de les réparer, et le train finira par passer.
Bombardement du train à la gare de Pierrelatte

 De longs arrêts dans des gares dévastées, et parfois en pleine voie. Dans les wagons, toujours la soif, la faim, la suffocation, les corps encastrés les uns dans les autres, les sueurs qui se mêlent. Le convoi mettra finalement dix jours, depuis le départ de Sorgues, avant d'arriver à Dachau. Dix jours de souffrance, et de terreur, aussi, lorsque le train traversait des zones de combat...

 L'inflexible obstination du chef de convoi

 C'est Marc Brafman, un résistant juif polonais, déporté dans le train au milieu de ses camarades de la 35ème brigade FTP-MOI, qui m'a raconté cela, près de soixante ans plus tard : lorsque le train est arrivé à la gare de Dijon, le 24 août, une grande pagaille régnait sur les quais. Aucun autre train ne circulait plus ce soir-là – au moment même, rappelons-le, où le premier détachement de la division Leclerc entrait dans Paris insurgé... Un groupe de militaires allemands (mais peut-être quelques civils s'étaient-ils mêlés à eux) s'est alors adressé au chef de convoi, lui faisant valoir que c'était terminé, que la guerre, pour eux, était perdue, que les FFI allaient tous les liquider – et lui demandant de prendre place dans les voitures de l'escorte, pour rejoindre l'Allemagne au plus vite.


On leur a opposé que ces voitures étaient déjà bondées. Ils ont supplié, alors, qu'on libère les déportés, pour qu'ils puissent se substituer à eux dans les wagons à bestiaux, seule façon de sauver leur peau. Le refus du chef de convoi a été catégorique. Brafman avait un étrange sourire, amer, un peu tremblant, en me racontant cela.

 Les ultimes évasions, et l'enfer des camps

 Deux mois, depuis le premier départ de Toulouse : aucun convoi de déportés, encore une fois, n'a mis si longtemps à atteindre sa destination. Mais aucun convoi, non plus, n'a compté autant d'évasions : près de 200, au total, favorisées par les cheminots tout au long du parcours. Le plus grand nombre (autour de 70) en Haute-Marne, alors que le train avançait au ralenti aux abords d'un pont qui venait d'être hâtivement réparé. Il fallait desceller les planches inférieures du wagon, se glisser dessous, s'accrocher à la barre de frein, sauter sur la voie au bon moment, avec la terreur d'avoir la tête fracassée ou les jambes sectionnées. La plupart de ces évadés, pris en charge par les maquis, ont presque aussitôt repris le combat, et contribué, parfois héroïquement, à la libération du territoire.

 Pour les 536 détenus en provenance du train parvenus à Dachau, un autre enfer commence. Les femmes dirigées vers Ravensbrück, les hommes les plus valides vers Mauthausen, et le plus grand nombre maintenu à Dachau. Beaucoup ne survivront pas à l'effroyable épidémie de typhus qui s'est répandue sur le camp, pendant l'hiver 1944-1945.

 Mon grand-père, Guido Palmino, fait partie de ceux qui n'en sont pas revenus. Je conserve la lettre, déchirante, qui raconte sa mort, nu, dans la neige, et que ma famille n'a reçue qu'aux premiers jours de 1947 (auparavant, il n'était considéré que comme « disparu »). Ce n'est que très récemment que j'ai compris, en recoupant des informations, que le témoin de son supplice était alors un tout jeune résistant de moins de vingt ans, membre de l' « équipe spéciale » des FTP de la région Languedoc, qui avait voyagé avec lui dans le Train Fantôme, et qui était, à Dachau, son compagnon de chambrée. Le puzzle, peu à peu, se reconstituait.

 Des victimes, mais aussi des combattants

 Au fur et à mesure que j'ai mis des noms sur les corps des déportés du Train Fantôme, que j'ai découvert des visages derrière ces noms, puis reconstitué des biographies derrière ces visages, quelque chose s'est imposé à moi : il ne s'agissait pas seulement, pour nous, de compatir au sort de ces victimes de la barbarie nazie, mais aussi, surtout, d'honorer des combattants.

 Ceux qui provenaient du camp du Vernet étaient pour la plupart trop âgés, en 1944, pour que je puisse les rencontrer, plus de 60 ans après. C'est essentiellement à travers des témoignages, des récits, des archives, des souvenirs de leurs descendants, que j'ai pu comprendre, peu à peu, qui étaient ces résistants de toutes les nationalités. Ceux qui avaient choisi de risquer leur vie pour leur pays d'accueil, même si celui-ci les avait souvent très mal reçus (je pense au sort des républicains espagnols réfugiés, parqués dans des camps dès leur arrivée en France).

 Découvrant, au passage, toute l'effervescence culturelle et politique qui avait régné, pendant quatre ans, au Vernet, avec ces collectifs de résistance secrets, et même ce comité militaire clandestin, destiné à entraîner et former les détenus pour le moment où il faudrait reprendre le combat.

 Découvrant, aussi (ce dont aucun historien, à ma connaissance, n'a jamais parlé) qu'une unité d'action avait fini par s'imposer au Vernet entre communistes et anarchistes espagnols, pourtant hier ennemis jurés.

 Découvrant, à travers eux, toute l'épopée des Brigades Internationales, auxquelles plusieurs d'entre eux avaient participé. Le rôle capital joué par ces FTP-MOI, présents dans la résistance active dès ses origines, et que les visions « nationales » de la Résistance propagées après-guerre, tant par les gaullistes que les communistes, ont eu tendance à repousser dans l'ombre (le souvenir du groupe Manouchian, de ceux de l'Affiche rouge, étant pour ainsi dire l'arbre qui cache la forêt). L'importance non moins décisive de ces unités de guérilleros espagnols opérant dans la région toulousaine et les départements pyrénéens, et qui contribuèrent à la libération du territoire dans tout ce secteur.

 Quelques figures se détachant de l'ensemble ? Juan de Pablo, par exemple, de son vrai nom Dezsö Jasz, un émissaire hongrois du Komintern, devenu lieutenant-colonel de l'armée républicaine espagnole, puis combattant, en France, dans un groupe de guérilleros de l'Ariège, et qui dirigeait, au Vernet, ce fameux comité militaire clandestin – l'un de ceux dont l'autorité impressionnait jusqu'à ses ennemis, et qui s'autorisait même, pendant le parcours du train, à donner des leçons de stratégie à certains officiers allemands de l'escorte, passablement éberlués... Ou Francesco Nitti, dirigeant socialiste italien, évadé des prisons de Mussolini, officier des Brigades Internationales en Espagne, puis combattant de la Résistance, en France, avant d'être arrêté, interné au camp du Vernet – et qui fut le premier, en 1945, à écrire un petit livre de témoignage sur le Train Fantôme, hélas sans grand retentissement au moment de sa parution, et très vite sombré dans l'oubli... Ou Vicente Parra, médecin espagnol, chef des services sanitaires du Vernet, qui s'efforça, tout au long du parcours du train, d'adoucir le sort de ses codétenus, et qui continua cet effort jusqu'à Dachau, où il avait été recruté à l'hôpital du camp, parvenant même, dans les pires conditions qui soient, à sauver la vie de certains de ses camarades... Ou encore l'avocat italien Gian-Pietro Mossolin, qui tenta, pendant le parcours du train, de faire respecter les règles internationales de la guerre au chef de convoi, qui lui répliqua, hélas, par une fin de non-recevoir...

 Et Guido Palmino, mon grand-père, parmi eux, au milieu de ces vieux combattants italiens, Borrani, Baiocchi, Pedrini, qui prolongeaient en France, comme naturellement, le combat anti-fasciste qu'ils avaient engagé, en Italie, contre le régime de Mussolini...

 Des personnages d'exception

 D'autres figures, encore, qui se sont détachées de l'ensemble, parmi ceux qui étaient issus des prisons de Toulouse et de Bordeaux, où plusieurs d'entre eux avaient été rudoyés, torturés. Ce Juif russe d'Odessa, par exemple, Meyer Kokine, principal animateur du mouvement Libérer et Fédérer – un réseau de résistance qui n'a guère trouvé sa place dans les annales officielles (je ne vois guère que Jean-Luc Godard, curieusement, pour l'avoir mentionné dans un de ses films récents).

 Ou René Lafond, l'intraitable dirigeant du maquis du Médoc...

 Ou cet imam de la mosquée de Paris, Abdelkader Mesli, menacé par la gestapo pour avoir aidé et sauvé des Juifs dans Paris occupé, puis replié à Bordeaux, officiellement aumônier musulman des prisons de la ville, participant parallèlement à un réseau de confection de faux-papiers, notamment pour l'Organisation de Résistance de l'Armée – avant d'être arrêté, emprisonné, puis déporté dans le Train Fantôme.



 Une histoire qu'il ne serait pas inutile de faire connaître, le plus largement possible, aujourd'hui plus que jamais...

 Ange Alvarez, aussi, le plus jeune déporté du convoi, un mineur d'Alès, né dans une famille espagnole où tout le monde, dès l'origine, a participé à la Résistance – devenu quant à lui l'un des membres de l' « équipe spéciale » des FTP du Languedoc, chargée des actions les plus risquées. Ange Alvarez qui fut aussi le premier à s'évader du train, dès le premier jour de son parcours, arrachant les barbelés qui fermaient la lucarne de son wagon, sautant à l'extérieur, fuyant sous les rafales des mitraillettes allemandes, traversant, blessé, la Garonne à la nage – avant, quelques jours plus tard, de reprendre l'action armée, de participer  aux combats de Bédarrieux et de Saint-Pons, à la libération de Béziers et de Montpellier...

 Je revois régulièrement Ange Alvarez, aujourd'hui. Une étrange complicité tacite est née entre nous, en dépit de la différence d'âge, et d'expérience. Mais je ne puis jamais m'empêcher de voir, derrière le vieil homme relativement apaisé qu'il est devenu, ce jeune résistant de 17 ans, intrépide, furieux, convaincu de son invulnérabilité.

 Je pense aussi à ces deux jeunes étudiants, Claude et Raymond Lévy, issus d'une famille juive de Salonique, que l'on avait réussi à « planquer » pour échapper aux persécutions, mais qui n'avaient qu'une envie, celle de ne pas subir le sort qui leur était promis, et de se battre contre les nazis – et qui ont fini, après bien des péripéties, par rejoindre la 35ème brigade FTP-MOI, à Toulouse, et par se lancer dans les actions les plus héroïques, les plus téméraires, harcelant sans relâche les occupants, avant de se retrouver dans les wagons du Train Fantôme.

 Raymond Lévy, après son évasion du train, en Haute-Marne, s'était engagé dans la 2ème DB du général Leclerc, avait poursuivi la guerre jusqu'à l'occupation de l'Allemagne. Il avait vécu, par la suite, une tout autre vie, était devenu éditeur d'art, un temps producteur de cinéma, et pendant longtemps était demeuré étonnamment discret sur ce qu'il avait accompli à vingt ans. Ce n'est que récemment, au soir de sa vie, qu'il s'était décidé à revenir, par plusieurs témoignages, notamment filmés, sur cette période de son existence. Mais sans se départir jamais de sa discrétion, de son élégance.

                             Maquis Bir-Hakeim

 L'écho du maquis Bir-Hakeim

 Un personnage flamboyant, au cœur de la souffrance et de la détresse des déportés du Train Fantôme ? Incontestablement, Christian de Roquemaurel, qui par son panache, son ironie, sa morgue, impressionnait tous les autres détenus. Je ne l'ai hélas pas connu, mais c'est par un petit récit de souvenirs écrits par lui que j'ai pu découvrir l'aventure, mal connue, de ce maquis Bir-Hakeim, dont il fut l'un des derniers chefs militaires.

Ce maquis formé initialement par des officiers français de tradition maurrassienne, mais qui, imprégnés d'un patriotisme indéfectible, n'avaient pas accepté la capitulation, ni le ralliement de Maurras à Pétain ; et avaient réussi  à créer, des Cévennes au Languedoc, une véritable petite formation militaire clandestine, mobile, active, entraînée, disciplinée. Le seul maquis à avoir, dès 1943,  affronté les occupants dans une bataille rangée (le combat de Dourch, dans l'Aveyron), et à en avoir triomphé. Ce qui fut d'ailleurs mentionné et salué par le général de Gaulle, dans ses Mémoires de guerre – mais n'a, en dépit de cela, guère laissé de traces dans la mémoire officielle...

 Christian de Roquemaurel, donc, était issu d'un milieu d'officiers de carrière, monarchistes, viscéralement hostiles au Front Populaire, plus ou moins antisémites. Et on le retrouve là, dans ce convoi, au milieu de combattants communistes et de résistants juifs, qu'il apprend peu à peu à apprécier. Tous ceux-là, du reste, de leur côté, n'avaient cessé d'admirer son exceptionnel courage, empreint de défi, face aux nazis. Il fut, dans ce parcours du Train Fantôme, le principal instigateur des évasions.

 L'expérience des camps

  La plupart des déportés qui sont revenus des camps en 1945 sont restés plutôt silencieux sur ce qu'ils y avaient subi. D'abord, parce qu'ils ont très vite perçu qu'on ne les croyait pas, et qu'on n'avait pas vraiment envie de les écouter. Ensuite, parce que, pour les plus jeunes, l'envie de vivre, comme une revanche, passait par la nécessité d'oublier (Jorge Semprun en a très bien parlé). Enfin, parce qu'ils ne pouvaient s'empêcher de ressentir un absurde et torturant sentiment de culpabilité, lié au malaise d'avoir survécu, alors que tant de leurs camarades étaient partis en fumée, ou avaient disparu dans les charniers.



 Le bâtonnier de Bayonne, Jacques Simonet, un résistant qui était dans le train, lorsque ses petits-enfants l'interrogeaient à propos des chiffres tatoués sur son avant-bras, leur répondait, imperturbable, qu'il s'agissait d'un numéro de téléphone qu'il avait peur d'oublier.

 Conchita Ramos, l'une des déportées du Train Fantôme, ancienne agente de liaison des FTP de l'Ariège et de la région toulousaine, est étonnamment lucide sur les traumatismes ineffaçables engendrés par l'horreur des camps. Me racontant, par exemple, qu'elle a mis très longtemps avant de pouvoir tolérer la présence d'un chien à ses côtés. Et qu'aujourd'hui encore, plus de 70 ans après, elle ne supporte toujours pas l'odeur de viande grillée qui émane d'un barbecue.

 Mais c'est Renée Lacoude, autre déportée du convoi, survivante de Ravensbrück, grande résistante de Bordeaux, qui a sondé le mieux, me semble-t-il, le cœur de l'expérience. Nous avions tant vécu, me disait-elle, dans le règne de la mort, à son contact quotidien, que nous avons eu le sentiment, après notre retour, d'être d'une autre espèce, irrémédiablement liée à la mort – étrangère, en tout cas, à ce qui agitait ceux qui n'avaient pas traversé la même réalité.


 Un témoignage incroyable

 Marc Brafman, lui, avait réussi à survivre à Dachau : en dissimulant qu'il était juif, puis en devenant infirmier à l'hôpital du camp (le Revier), bénéficiant ainsi de conditions de vie un peu moins terribles. C'est un autre déporté du Train Fantôme, Vicente Parra (l'ancien chef, donc, des services sanitaires du Vernet), intégré à l'équipe du Revier, qui l'avait fait recruter. Parra, au demeurant, était parvenu, dans ses fonctions, à sauver la vie de plusieurs de ses codétenus du convoi.


Marc Brafman et ses parents

 C'est Brafman, encore, qui m'a raconté cela, que d'autres témoignages m'ont confirmé : en 1945, lors de la libération de Dachau par les Américains, ceux-ci avaient décidé de maintenir au camp les détenus espagnols – il était question, même, de les rapatrier directement en Espagne (où ils auraient bien entendu été immédiatement incarcérés, voire exécutés). Parra s'y était fermement opposé, mais il a fallu toute l'autorité d'Edmond Michelet (qui représentait la France au sein du comité international clandestin créé parmi les déportés) pour que ces Américains finissent par consentir, au terme de discussions tendues, à renvoyer en France tous les résistants étrangers qui y avaient été arrêtés, et qui le désiraient.



 L'Amicale des Déportés Résistants du Train Fantôme

 Il a fallu attendre 45 ans pour que l'histoire du Train Fantôme soit ressuscitée – essentiellement grâce aux efforts de quelques habitants de Sorgues (au premier rang desquels Robert Silve et son épouse Edith), bientôt rejoints et épaulés par l'un des témoins, à douze ans, du passage des déportés dans son village (Charles Teissier). 


Ceux-là sont peu à peu parvenus à retrouver les survivants, à les contacter, à les reconnecter, à les réunir – et une Amicale s'est créée, donc, en 1993, vouée à entretenir le souvenir de ce chapitre censuré de l'histoire de la Résistance et de la Déportation, et à s'efforcer de l'inscrire dans la mémoire collective.

 Un mémorial est érigé, devant la gare de Sorgues, où les membres de l'Amicale participent à une cérémonie commémorative, tous les 18 août (anniversaire du passage des déportés à cet endroit).

 Beaucoup de survivants du convoi sont morts, désormais. Mais leurs descendants ont pris le relai – et cette Amicale, contre toute attente, ne cesse de se renforcer. Il s'est peu à peu créé, entre ses membres, un étonnant climat de connivence, de fraternité, d'amitié.
 Ce n'est pas seulement par « devoir de mémoire », autrement dit, que les participants à cette cérémonie se retrouvent. Plutôt parce qu'ils ressentent qu'un peu de cet esprit de la résistance qui animait les déportés du train passe par eux, désormais.
La gare de Sorgues, ce jour-là, est définitivement un lieu habité.



Survivants du train fantôme en 1991

Raymond Lévy

 Le 24 mars 2012, à Toulouse, lorsque mon ami Jean-Daniel Simonet et moi sommes sortis de l'aéroport pour nous rendre à la gare, où une cérémonie était organisée pour l'inauguration d'une plaque rappelant le départ du Train Fantôme – nous étions accompagnés de Raymond Lévy, dernier survivant, à cette date, de la 35ème brigade FTP-MOI, qui avait tenu à faire le voyage avec nous. Or Raymond Lévy, à un moment, fit arrêter quelques minutes le taxi qui nous conduisait auprès d'un carrefour, s'excusant presque, et, nous a-t-il dit, pour des raisons « sentimentales ».
 Souvenir d'une histoire amoureuse, au cœur des années noires ? D'une aventure ? Ce n'est que plus tard, après que le chauffeur de taxi fût reparti, que Raymond Lévy, avec la distance et l'élégance qui le caractérisaient, nous a éclairés : « C'est à ce carrefour-là, nous a-t-il confié, que j'ai exécuté, au revolver, à bout portant, mon premier officier nazi...»

 Raymond Lévy est mort à son tour, à la fin de l'année 2014. Lors de son inhumation, le 15 décembre, j'ai cru voir resurgir et se déployer, invisiblement, autour de lui, tout un monde de souffrance, de bravoure, d'insoumission, d'amour éperdu de la liberté. Comme si les fantômes du train étaient là, autour de la tombe ouverte. J'ai repensé à Faulkner : « Le passé n'est jamais mort. Il n'est même pas passé. »


Un film nécessaire

 Il y a dans tout cela, je crois, matière à un film d'autant plus nécessaire que la somme de films (documentaires ou fictions) dont nous avons été abreuvés ces derniers temps, à propos de cette période, sont paradoxalement loin d'avoir saturé le sujet.
 Il reste des zones d'ombre, des pans entiers de l'Histoire, que les représentations convenues ont continué à occulter, alors même que cela pourrait nous parler directement, de façon vivante – non pas comme des chapitres poussiéreux de l'Histoire, mais comme quelque chose qui nous appelle, nous concerne, ici et maintenant.

 Au-delà de l'invraisemblable et tragique histoire du Train Fantôme, il me paraît essentiel de raconter QUI étaient les combattants que ce convoi rassemblait.
 Parce qu'ils ont joué un rôle, dans la Résistance, que la mémoire officielle n'a pas toujours retenu comme il le faudrait.
 Parce qu'ils étaient de différentes origines, venus de toute l'Europe, et que le rôle des combattants étrangers dans la Résistance française, lui aussi, a trop souvent été sous-estimé.
 Beaucoup de ces combattants étaient des immigrés.

Prisonniers résistants du train fantôme



 Parce qu'ils provenaient d'horizons politiques différents : on trouvait dans le train des communistes (eux-mêmes bien divers : depuis un aparatchik officiel du Komintern comme Juan de Pablo jusqu'à ceux, de la mouvance de Guingouin, ou des réseaux de FTP-MOI, qui avaient engagé la lutte contre les occupants dès 1940, et avaient largement échappé, pendant quatre ans, au contrôle de l'appareil stalinien) ; on y trouvait aussi des anarchistes (les anciens de la colonne Durruti internés au camp du Vernet), des socialistes, des radicaux du Sud-Ouest, des républicains, des gaullistes de la première heure, des membres de réseaux de la Résistance plutôt classés à droite (comme l'OCM), et jusqu'à des anciens maurrassiens qui, par patriotisme, avaient refusé la capitulation, et le régime de Vichy, et ont voulu continuer le combat.
 Synagogue de Bordeaux 1944


 Parce que, pendant les quatre semaines où ils furent enfermés à la synagogue de Bordeaux, ils ont appris à se connaître. A surmonter, entre eux, les préventions et les préjugés.
 Parce qu'ils ont, par deux fois, tous ensemble, chanté La Marseillaise en défiant leurs bourreaux, et que ce chant était le symbole de ce qui les rassemblait.


 Parce que ces métèques, ces proscrits, ces parias, à ce moment-là, étaient la France, alors que tant de français « de souche » s'étaient couchés devant les occupants.

 Parce qu'une fraternité de combat est née dans la détresse commune, et qu'elle s'est exercée, notamment, dans un nombre impressionnant d'évasions collectives.
 Parce qu'il y avait, parmi ces 750 déportés, des personnages hors du commun, hauts en couleur, dont chacun, presque, pourrait faire l'objet d'un film.

 Parce que nous disposons de documents où ils figurent, où ils témoignent, et que plusieurs de leurs descendants peuvent en parler, non comme de « héros » ou de « martyrs » (ce qu'ils furent aussi), mais comme des êtres de chair et de sang.

 Mais aussi parce qu'ils ont été, pour la plupart, les oubliés de la Résistance.

 Parce qu'ils ont été animés, au total, par une certaine idée de l'Europe, forgée dans les combats contre le fascisme menés dans tous leurs pays d'origine – et que cette idée de l'Europe, aujourd'hui, elle est sans aucun doute à reprendre, à prolonger, à réinventer.

 Cela, aussi : il n'y avait, dans leur engagement, rien de sacrificiel : il n'y eut aucun « attentat-suicide » dans la Résistance.
 Ils aimaient la vie.

 « Amoureux de vivre à en mourir », écrivait Aragon à propos des fusillés de l'Affiche Rouge. Cela pourrait s'appliquer aussi aux combattants réunis dans ce train de la mort.

GUY SCARPETTA: écrivain






NOTE DE REALISATION de Jorge Amat


Un sujet: un train qui hère dans une France en feu, un décor un train de déportation,
les personnages: 700 détenus politiques, un genre: un documentaire historique.

Comment raconter l'histoire méconnue des résistants Français, Espagnols, Italiens,
Allemands qui se trouvaient dans le " train fantôme "?
Ce n'est pas la première fois que je me retrouve devant ce dilemme, déjà avec "La traque de l'affiche rouge", "La propagande de Vichy" et la France des camps" dont ce film est la suite logique j'ai résolu ce problème  à travers une enquête porté par un historien qui parle dans les lieux même des actions et illustré par des stocks shoots et la parole des intervenants.
Avec le train fantôme je veux donner un visage et une histoire à quelques résistants qui sortaient  des camps Français  d'internements et  des prisons. Mon intention première est de transmettre ce message de lutte, d'espoir de personnes qui ont lutté contre la barbarie, sans égoïsme, sans penser à eux même.
Il reste peu de survivants, mais heureusement nous avons des enregistrements filmiques faits il y a 10 et 20 ans par une cameraman anglaise et moi-même. Par miracle ces archives ont été digitalisée et la qualité de l'image en 16 mm couleur est remarquable. Nous avons aussi les témoignages  des familles qui se battent aujourd'hui pour que cette mémoire reste vivante, à travers l'Amicale des Déportés Résistants du Train Fantôme.

L'histoire du Train Fantôme fut tragique : vingt fois le parcours du train aurait dû être interrompu, et vingt fois celui-ci est parvenu à surmonter ces obstacles, et à poursuivre son itinéraire, comme si une implacable fatalité s'acharnait sur un tel convoi. Mais pas question pour autant de sombrer dans les facilités de la « mémoire-lamentation » : tout autant que de pleurer des victimes, il s'agit dans ce film d'honorer des combattants.
Le début du film doit être comme une bande annonce  de mélange d'archives du débarquement allié, d'actions de Résistance, d'images de répression des nazis aidés par la Milice Française et de cartes de la France avec la voix en off de l'historienne Christine Lévisse Touzé. Elle nous dit que nous sommes en juillet 1944, que le de plus en plus courageuse et que les américains débarqués en Normandie  avancent avec plus de 130 000 soldats et plus de dix milles avions qui pilonnent les forces allemande. Elle raconte que le gouvernement de Pétain décide dans un dernier sursaut de haine livrer les derniers prisonniers politique au SS, vers les camps de la mort. Qui sont ces déportés et pourquoi avaient-ils été emprisonnés? Comment les sortir de l'oubli? Les images sortent en majorités de la librairie du Congrès des USA.
Avec Guy Scarpetta, qui sera notre passeur tout le long du film on se trouve  devant les tombes (que des étrangers) du cimetière de l'ancien  camp du Vernet. Devant la liste des noms des internés qui furent livrés aux allemands il nous dit qui sont ces gens qui vont subir un nouveau calvaire vers Dachau. Les espagnols avaient fuient Franco comme les polonais et les 30 autres nationalités des Brigades Internationales, des allemands, … antifascistes. Les nazis prévoyant leur retraite avaient décider d'exterminer cette vermine rouge.  Parmi eux se trouve l'hongrois "Juan de Pablo", membre du Komintern, membre des Brigades internationales en Espagne puis résistant en France, c'est lui qui devint pus ou moins le commissaire politique des prisonniers dans le convoi.
 Les 350 prisonniers politiques s'entassent dans des wagons du même genre que celui que l'on peut voir un sur l'ancienne Gare du Vernet.  Il s'agit dans un premier temps d'une façon dynamique de rendre compte du contexte de ce moment dramatique de juillet 1944.Qui a donner cet ordre  absurde en pleine débâcle allemande d'emmener à la mort ces détenus? Est ce une machine bureaucratique qui gère l'extermination des opposants et des juifs qui s'emballe? Est ce une volonté de détruire des témoins gênants? C'est un peu de tout cela nous dira Scarpetta.
régime de Vichy est au abois, que les mouvements de Résistance font des actions
De là nous suivrons les rails pour nous retrouver devant la prison St Michel à Toulouse.


Prison St Michel à Toulouse.
La prison St Michel de Toulouse est célèbre pour avoir "hébergé" de nombreux résistants et où fut guillotiné "Marcel Langer" chef de la 35ème brigades FTP MOI. D'ici sortirent aussi plusieurs centaines de politique comme les frères Raymond et Claude Levy" et Conchita Ramos. Elle  nous racontera les circonstances de son arrestation et de sa déportation. Raymond Levy (archives) décrira ses actions contre les nazis à Toulouse avec les FTP MOI.
                     
De la gare de Toulouse (mélange de tournage et d'archives) on va suivre la voie de chemin de fer vers Bordeaux. Nous retrouvons Scarpetta devant une des tours du fort du Hâ (Bordeaux), qui pendant la guerre fut utilisé par les allemands comme prison pour les politiques. Il nous raconte l'arrivé du train, son départ vers l'Allemagne, bombardements, sabotages, le train reviens et les hommes sont enfermés à la synagogue de Bordeaux. Nous donnerons la parole au fils de l'iman de la grande Mosquée de Paris qui y était enfermé. Il nous mettra en évidence la solidarité de son père, Abdelkasem Mesli, qui fut résistant et aida les juifs. Il fut déporté à Dachau puis à Mauthausen.



Pour le 14 juillet ils chantent la Marseillaise. Le train repart 21 jours plus tard avec 150 prisonniers en plus. On suit toujours la voie ferrée avec les paysages filmés de nuit vers Carcassonnes, Nimes, le train remonte la vallée du Rhône, les actions des partisans se font de plus en plus virulentes, le train est bloquée à Roquemaure, le pont  de Remoulins a sauté. S'ensuit une  marche forcé de 17 km d'un long convoie d'hommes en aillons, malades, crevants de soif qui traversent la ville de Sorgue. Avec l'aide de cheminots et de la population des dizaines de détenus ont réussi à s'évader. 
Pour illustrer ce moment nous allons suivre de nos jours une centaine de jeunes, petits fils de ces détenus qui viennent du monde entier qui refont le même chemin tous les 18 aout. Certains nous raconteront comment leur gd père c'est évadé en sautant dans le Rhône ou caché sous un train avec la complicité des cheminots de Sorgue.  Devant la gare de Sorgue Ange Alvarez jeune résistant à l'époque racontera son évasion mouvementée. Le long de la ligne de chemin de fer vers Montélimar on mettra en image (reconstitution avec des images d'archives) l'essai avorté de libération des prisonniers par un commando de maquisards de la Drôme. C'est encore le docteur Vincente Parra qui soignera les blessés. Le train dépasse Lyon le 21 aout, arrive à metz. Entre temps plusieurs détenus ont pris le risque de s'évader adu train en marche en arrachant des planches et se laissant tomber sur le ballast, ce qui provoqua plusieurs morts. Pour Christian de Roquemaurel, Francesco Nitti et les frères Levy autours du 25 aout. Marc Brafman fut reprit. Le train arrive à Dachau le 28 aout 1944 à
1 heure du matin. Les prisonniers du train fantôme sont 543. Ils sont partis 700 de Toulouse. Images filmé maintenant d'un long travelling dans la brume qui enveloppe le camps de Dachau pour décrire leurs arrivées avec le témoignage de Marc Brafman et de Conchita Ramos.  Ils ne seront libérés par le américain que le 29 avril 1945 comme nous le montre les images filmées par les troupes américaines.

La structure du film sera constituée d'une façon chronologique sur trois niveaux. Le premier, qui sera la cheville ouvrière de la continuité, est le récit et le commentaire en situation dans les lieux même du passage du train. La géographie des lieux du passage des prisonniers doit être le décor où le narrateur (Guy Scarpetta) va décrire les évènements et le contexte de l'époque qui sera illustré par des archives.
Le deuxième niveau qui est constitué par la parole des protagonistes (les survivants) et le témoignage filmé de ceux qui ont disparus. Dans chaque lieu symbolique de la répression (prisons, camps, gares, villes traversés) nous mettrons en avant un ou plusieurs personnages, en le décrivant, racontant sa trajectoire et lui donnant la parole (si on à une archive). Là se trouvent les moments forts du film où nos témoins racontent un épisode dramatique ou importante de cette épopée.

Le troisième niveau sera mis en évidence au fur et à mesure du tournage avec les archives de la police, des tribunaux et d'autres actes officiels qui donneront une assise historico-légale (comme une expertise) aux faits racontés.


Le montage très important de ce genre de film devra donner une continuité et une fluidité à toutes ces images venant de nombreuses sources. Pour les cas où il n'y aurait pas de témoins ce seront les membres de leurs familles qui rappelleront le souvenir d'histoires incroyables. Par le biais du montage nous mettrons en avant le suspens, l'inquiétude et l'âpreté de la guerre en aout 1944. L'enquête mettra en évidence des détails liés à chaque lieu, à travers un témoignage sur des évasions, des brimades, exécutions et surtout la solidarité qui leurs à permis de survivre.  
Le train, les gares, le rail, l'été, les paysages qui défilent, tout cela fait partie de notre visuel. Mais à part cette machine de mort qui hante pendant deux mois les rails de la France, il y a les lieux  où cette bête de fer et de feu s'est abreuvée. Il s'agit du camp d'internement du Vernet, de la prison St Michel de Toulouse, de la synagogue et du Fort du Hâ de Bordeaux, mais aussi des maquis qui jalonnent les voies.



                                      Prison St Michel Toulouse

Une histoire fascinante, car ces résistants sortis des prisons de Bordeaux, de Toulouse et d'autres lieux d'emprisonnements avaient un long parcours de lutte. En faisant notre investigation dans les archives nous avons découvert que beaucoup avaient déjà lutté en Espagne, en Allemagne et l’Italie fasciste.

Nous ferons la liaison entre ces hommes captifs, et ceux des maquis qui faisaient sauter les ponts et les voies ferrées au même moment; pendant son parcours dans la vallée du Rhône, le train n'a précédé que de quelques jours la progression des armées alliées débarquées en Provence : Nous pouvons voir dans la presse de l'époque qu'une semaine après son passage, la région était libérée...à quelques jours près ce train ne serait jamais arrivé à Dachau.

Comme dans une enquête, nous allons reconstituer les faits grâce aux écrits, aux archives, aux témoignages, aux souvenirs des rares derniers survivants, et de leurs descendants. D'une façon chronologique à travers ces traces et la presse de l'époque nous allons revisiter l'actualité politique et sociale de cette époque de l'occupation et de la résistance.

 Actions de la Résistance 1944


Par exemple Raymond et Claude Levy rejoignent  la résistance à 18 ans et 19 ans  à Toulouse, dans la 35ème  brigade Marcel Langer « MOI ». Ils se lancent dans la guérilla urbaine. Ils participent aux attentats (jusqu’à 3 par jour) à la destruction de locomotives, aux exécutions d'officiers allemands. Ils sont arrêtés le 4 avril 1944, après la découverte d'un dépôt d'armes. La brigade Marcel Langer est anéantie. Huit membres dont les frères Levy sont incarcérés à la prison St Michel de Toulouse avant de rejoindre le convoi du train fantôme. Pour Claude Levy ils sont les oubliés de la Résistance.

ITV Claude Levy : A travers les documents de la police on peut voir que cela ressemble à un roman policier: des énigmes sont posées. A travers enquêtes et filatures on peut suivre le déroulement de la traque des clandestins et apprécier le zèle et l'efficacité de la police vichyste et sa duplicité.

 A travers les témoignages nous montrerons pourquoi ces prisonniers furent déportés, et par qui ; nous confirmerons que c'est bien la police française de Vichy qui les a livré aux occupants allemands.

Ange Alvarez et l'équipe spéciale de Montpellier


Ange Alvarez qui était  entré dans la résistance à l'âge de 15 ans nous dit devant la gare de Sorgue: «  j'avais gravi peu à peu les échelons, jusqu'à devenir membre d'un groupe spécial inter-régional  J’étais chargé de tuer tous les soirs un officier allemand dans la région située du Gard jusqu’aux Pyrénées orientales. Nous fûmes arrêtés à Montpellier : torturés dix jours et dix nuits, nous n'avons pas parlé. Finalement on nous transféra à la prison Saint Michel à Toulouse. Huit mois plus tard, sous alimentés, le 30 juin 1944 les autorités de Vichy nous remettaient aux SS.
Libertaire et communiste (je ne le suis plus depuis un voyage voilà trente ans en U.R.S.S.) j'avais déjà songé à deux ou trois plans d'évasion qui n'avaient pas été approuvés par le Parti Communiste : j'avais donc obéi. Nous étions quatre-vingts hommes entassés dans un train qui resta toute l'après-midi en plein soleil. Les allemands avaient cloué des barres de bois et des fils barbelés sur chaque fenêtre. A quatre mètres de nous était posté un SS avec un fusil mitrailleur : je voulais lui foncer dessus après diversion, mais mon entourage a refusé. »

Le facteur psychologique des prisonniers devant le danger et l'ennemi sera mis en évidence. Il y en a comme Alvarez, les frères Claude et Raymond Levy qui dès le début de leurs emprisonnements ne pensent qu'à s'évader. Ce qu'ils feront de nombreuses fois avant de réussir. Personne n'est égal en situation de crise.

Internés du camp du Vernet


Toujours aux archives départementales la liste des internés au Vernet nous révèlera le très grand nombre de résistants étrangers dans le convoi : façon de souligner le rôle de ces étrangers dans la résistance, généralement mal connu, et de faire apparaitre cette grande solidarité européenne contre le fascisme, qui remontait à l'Espagne de 1936, à l'épopée des Brigades Internationales.
Il y avait dans le train des Français de souche, des républicains espagnols (très nombreux), des  antifascistes, des Juifs de Pologne et d'Europe centrale, des Allemands et Autrichiens antinazis, des Yougoslaves, des Hongrois, des Tchèques, des Portugais, des Arméniens, etc tous rassemblés dans la même solidarité de combat.
Nous montrerons, aussi, comment ces déportés, dans leur calvaire, reçurent parfois le soutien des populations locales, et l'aide des cheminots  qui a favorisé de nombreuses évasions.
Toujours dans le dispositif de tournage il faudra montrer combien ces hommes et ces femmes sont emblématiques de toute la diversité de la Résistance ; ils pouvaient venir d'horizons politiques très variés : il y avait parmi eux des gens de droite, et même des aristocrates, « maurassiens » d'origine, des radicaux, des républicains, des socialistes, des communistes, des anarchistes – rassemblés dans l'antifascisme. Il importe de bien montrer cette diversité.

L'autre facteur qui me fascine dans cette histoire est la façon dont elle est revenue à la lumière, après avoir pendant plus de quarante ans été pratiquement oubliée, exclue du grand récit officiel sur la résistance et de la déportation. Quelques individus ont entrepris de la ressusciter, au terme d'un surprenant travail de recherche, où les personnages du train fantôme apparaissent comme les cailloux du Petit Poucet...

Peu à peu s'est créée une Amicale vouée à entretenir la mémoire de cet épisode tragique et héroïque, et rassemblant les derniers survivants du convoi, leurs descendants, des témoins. Occasion d'une réflexion sur la fragilité et la force de la mémoire, qui est sans cesse à exhumer, à raviver.

   Amicale du train fantôme en 1992


Tout cela sera illustré par la mise en avant de certains personnages exceptionnels et hauts en couleur du convoi,  par le voyage sur les lieux mêmes qui ont jalonné l'itinéraire du train, les lieux d’où les détenus étaient issus : le camp de concentration français du Vernet d'Ariège, où le régime de Pétain internait les « étrangers indésirables », la tristement célèbre Prison Saint-Michel de Toulouse, le fort du Hâ de Bordeaux, où furent parqués, en 1944, nombre de résistants du Sud et du Sud-Ouest qui eurent le malheur d'être capturés...
Voilà un autre facteur culturel et historique de notre film: celui de raconter la fonction des prisons St Michel de Toulouse et du Fort du Ha de Bordeaux pendant la guerre puisqu’elles ne fonctionnent plus maintenant.

La bande son, la musique, auront un rôle très important, déjà à travers la sonorisation d'archives souvent muettes et, par le facteur psychologique de la musique  qui soulignera et connotera le temps de la narration.
                                    Le compositeur musicien Jean Louis Valero


Nous pensons au compositeur Jean Louis Valero, avec qui je travaille depuis mon film sur Jean Moulin et L'affiche rouge pour la création de cette musique. Jean Louis Valero, musicien de Eric Rohmer pour les films comme Pauline à la plage, le rayon vert, entre autres,  a cette sensibilité d'introduire des phrases musicales et des bruitages élaborés qui font ressortir les moments dramatiques que nous allons évoquer.
Celle-ci nous servira à faire mieux comprendre le dispositif scénique de ce puzzle.

C'est Guy Scarpetta qui va nous guider, nous raconter cette histoire, nous faire ressentir la souffrance et l'héroïsme de ces combattants. C'est avec lui que nous allons donner vie et visages à ces prisonniers, partager leurs tourments mais aussi leurs résolutions, leur courage, leurs luttes, leurs espoirs, leur fraternité.

Scarpetta à la gare de Sorgues


Nous puiserons donc dans les archives de l'administration de Vichy en ce qui concerne les arrestations, les internements. Nous avons accès aux photos et documents filmés rassemblés par l'Amicale des Déportés Résistants du Train Fantôme. Beaucoup d’archives ont été filmées il y a une vingtaine d'années, lorsque cette Amicale s'est créée.

Ce qui fut exceptionnel, ce ne fut pas seulement l'histoire tragique de ce convoi, mais aussi celle de sa résurrection. De cela aussi il sera question : façon d'interroger la précarité et la fragilité de la mémoire, s'agissant de ceux qui, dans les camps, étaient signalés non par l'étoile jaune, mais par le triangle rouge des « politiques » ; et qui ont représenté au total, en France, la moitié de l'ensemble des déportés.

Derniers survivants du convoi, susceptibles d'apporter leur témoignage :

·       Ange Alvarez, mineur d'Alès, résistant d'origine espagnole, ayant combattu dans les maquis des Cévennes, du Lubéron, du Languedoc, membre de l' « équipe spéciale » des FTP de Montpellier. Le premier à s'être évadé du train, dès le premier jour. Participera ensuite aux combats de la libération dans le Languedoc, contribuera à la libération de Béziers et de Montpellier. Commandeur de la Légion d'Honneur.

 Ange Alvarez 1945
Ange Alvarez 2016


·       Renée Lacoude, membre d'un réseau gaulliste de Bordeaux (Organisation Civile et Militaire), agent de liaison. Incarcérée au fort du Hâ. Conduite à Ravensbrück après l'arrivée du train à Dachau, libérée en avril 1945, rejoindra la France après un long périple par le Danemark et la Suède. Exceptionnelle lucidité pour tout ce qui concerne l'expérience de la déportation.

Renée Lacoude en 2016:  99 ans à Bordeaux

·       Conchita Ramos : agent de liaison des maquis de l'Ariège (où l'on comptait nombre de maquis exclusivement composés de combattants espagnols), incarcérée à Foix, puis à la prison Saint-Michel de Toulouse. Après Dachau, sera transférée à Ravensbrück, puis à Orianenburg. Evacuée par les Allemands, qui conduiront les détenues vers la Baltique, dans la « marche de la mort », puis libérée par les Russes, avant d'être confiée à l'Armée Américaine. Présidente d'honneur du Musée de la Résistance de Toulouse.


            Conchita Ramos 1944


Principaux personnages qui seront évoqués :

1.    Détenus issus du camp de concentration français du Vernet d'Ariège, où le régime de Vichy parquait les « étrangers indésirables » :


·       Francesco Nitti : socialiste italien, évadé des Iles Lipari, où il avait été incarcéré par Mussolini. Combattant en Espagne dans la brigade « Garibaldi » (volontaires italiens), responsable de l'artillerie. Interné à Argelès et Collioure après son retour en France, puis entré dans la résistance (réseau Bertaux). Arrêté, interné au camp de Saint-Sulpice, puis au Vernet. S'évadera du Train Fantôme en Haute-Marne. Sera l'auteur, dans les derniers jours de la guerre, du premier récit de témoignage consacré au Train Fantôme. Deviendra ensuite l'un des dirigeants de premier plan du Parti Socialiste Italien.


·       Vincente Parra : Chirurgien de Barcelone, participe à la résistance en France, interné au camp du Vernet, dont il dirige les services sanitaires. Pendant tout le parcours du Train Fantôme, contribuera à sauver des vies, et même à faire évacuer certains blessés graves. Parvenu à Dachau (il aurait refusé de s'évader du train pour rester au service de ses codétenus), sera intégré à l'hôpital du camp ( le « Revier »), où il sauvera la vie, de nouveau, à plusieurs de ses camarades du convoi.

Vincente Parra

·       Juan de Pablo (Deszö Jasz) : le plus mystérieux... Juif hongrois, ayant participé à la République des Conseils de Bela Kun, puis publiciste et agitateur, dans plusieurs pays, sous plusieurs identités. Formé à l'école du Komintern à Moscou, « révolutionnaire professionnel », devient chargé d'affaires pour l'Union Soviétique dans la république espagnole ; ayant acquis la nationalité espagnole, joue un rôle politique et militaire éminent pendant la guerre civile
(défense de Madrid, front d'Aragon) ; réfugié en France en 1939, responsable d'un maquis de l'Ariège, interné au Vernet, où il dirige le comité militaire clandestin, qui formera des combattants de plusieurs nationalités. Evadé du train en Haute-Marne, reviendra en Hongrie après la fin de la guerre. Pour échapper aux purges staliniennes qui frappaient les anciens d'Espagne (comme son compatriote Rajk, ou son ami le général Janos Gal), parviendra à se faire nommer, à Berlin-Est, ambassadeur... de la République Espagnole (dix ans après qu'elle ait cessé d'exister) ; spécialiste en intrigues, en doubles jeux... De nombreuses zones d'ombre, à son sujet, persistent... Destin romanesque, hors du commun.

·       Autres détenus du Vernet : résistants d'origine espagnole  (Pedro Vasquez, José Artime, Pozuelo, Joseph Valencia, José Serrano, colonel Velasco, colonel Blasco, colonel Redondo) ou d'origine italienne (Carlo Borrani, Guido Palmino, Baiocchi, Pedrini, Mossolin).


Juan de Pablo pendant la guerre d'Espagne


2°) Détenus issus de la Prison Saint-Michel de Toulouse :
·       Raymond Lévy : enfant d'une famille juive de Salonique, élevé à Paris, réfugié en zône libre tandis que ses parents étaient déportés à Auschwitz ; entré très tôt, avec son frère Claude, dans la résistance. Dernier survivant de la mythique 35ème Brigade FTP-MOI de Toulouse, qui opéra, en moins de trois ans, des centaines d'opération armées contre les occupants. Incarcéré à la prison Saint-Michel. S'évadera du Train Fantôme en Haute-Marne, où il participera aux combats de la libération dans le maquis de Fresnoy. Terminera la guerre dans l'armée d'occupation à Coblence, avant de commencer une brillante carrière d'éditeur de livres d'art. Il est le père de l’écrivain Marc Lévy qui lui a rendu hommage en 2007 dans un roman baptisé Les Enfants de la liberté, jugé par la critique comme l'un des meilleurs livres de sa carrière d'écrivain. 

Claude Levy en 1944 



·       Christian de Roquemaurel de L'Isle : militaire de carrière, aristocrate, issu d'une mouvance « maurassienne » ; rompt avec cette mouvance après le ralliement de Maurras à Pétain, devient l'un des fondateurs et le principal animateur militaire du maquis Bir Hakeim basé dans les Cévennes, qu'il forme et entraîne comme une véritable armée clandestine. Arrêté à Montpellier, puis transféré à Saint-Michel. Après plusieurs tentatives, parvient à s'évader du Train Fantôme le 20 août, près de Montélimar, en compagnie de sept de ses codétenus. Participera aux combats de la libération dans cette région.


·       

    Jacob Insel : Juif polonais. Combat contre les Anglais, au sein d'une brigade juive, dans la Palestine des années 30. Retour en Europe suite à des dissensions avec leur leader, Ben Gourion. Brigades internationales en Espagne. Devient, à Toulouse, le bras droit de Mendel Langer ( Marcel Langer), son compagnon de combat, à la tête de la 35ème brigade FTP-MOI, entièrement composée de résistants étrangers, qui s'illustrera par des centaines d'opérations armées contre les occupants de 1942 à 1944. Arrêté, déporté, fera partie des détenus du Train Fantôme tués « par erreur », à Pierrelatte, sous les rafales de l'aviation alliée, qui avait pris ce train pour un convoi militaire allemand...

Jacob Insel en 1943

·       Noël Peyre-Vidal : dirigeant de la Résistance de l'Ariège. Alors que les déportés étaient incarcérés dans la synagogue désaffectée de Bordeaux, devenue lieu de détention sous contrôle des Allemands, organise à la barbe des gardiens une cérémonie pour fêter le 14 juillet, où il prononce un discours glorifiant la résistance, faisant acclamer le nom du général De Gaulle, et appelant à la libération du territoire. Fait partie des dix prisonniers sélectionnés comme otages par les occupants, et sera fusillé « en représailles » (à la suite de l'exécution d'un traître par les résistants) au camp de Souges.

Noel Peyre-vidal (au centre)


·       Marc Brafman. Juif polonais, réfugié en France, combattant de la 35ème brigade FTP-MOI de Toulouse. Echouera à s'évader du train, poursuivra jusqu'à Dachau, où il parviendra à survivre (en cachant qu'il était juif). Après la guerre, reviendra en Pologne. A la suite de la politique ouvertement antisémite menée par le Parti Communiste polonais en 1967-1968, s'exilera de nouveau en France. L'un des fondateurs de l'Amicale des Déportés du Train Fantôme.

Marc Brafman en 1944


·       Autres détenus issus de la prison de Toulouse : Raymond Champel (chef de l' « équipe spéciale » des FTP de Montpellier), Raymond Heim (commissaire, lieutenant des Forces Françaises Combattantes, évadé du train fantôme en gare de Sorgues), Damien Macone et Damien Nardone (de l'organisation Combat, évadés du train près de Montélimar), Cesare et Nuncio Titonel, Amigo Zanel (combattants italiens de la 35ème brigade FTP-MOI de Toulouse), etc


        





 Fort du Hâ de Bordeaux
 Fort du Hâ 1944



 Détenus issus du Fort du Hâ de Bordeaux :




·       Meyer Kokhine, Juif d'origine russe, animateur du réseau « Libérer et Fédérer » dans le bordelais ; évadé du convoi à Sorgues. Premier président de l'Amicale.

·       René Lafond : instructeur militaire à l'école de l'air de Rochefort. Fondateur et animateur du maquis du Médoc (région de Pauilhac). Arrêté par la Gestapo le 13 juillet 1944, torturé, incarcéré au fort du Hâ. Tentative d'évasion du train fantôme à Valence, repris, poursuivra jusqu'à Dachau, où il parviendra à survivre, notamment grâce au Docteur Parra.

·       Maurice Lafosse : arrêté le 17 juillet 1944 à Langon (Gironde) alors qu'il tentait de rejoindre le maquis. Evadé du Train Fantôme le 21 août en gare de Valence, rejoindra la résistance (Armée Secrète) en Ardèche, où il participera aux combats de la libération.

·       Autres détenus venus du Fort du Hâ : le bâtonnier Simonet (résistant de Bayonne, d'origine radicale), France Boudault (issu d'un réseau de renseignement opérant dans tout le Sud-Ouest, déporté à Dachau par le train,puis transféré à Mauthausen), Philippe Toureille (réseau gaulliste « Gallia », l'un des leaders de la résistance bordelaise), etc.

                       Le batonnier Simonet


Principaux intervenants de cette histoire :

·       Guy Scarpetta, écrivain, petit-fils de Guido Palmino, auteur d'un livre consacré à son grand-père (Guido – Gallimard 2014), comportant une reconstitution minutieuse de toute l'histoire du Train Fantôme (tiendra dans le film le rôle de narrateur principal).

Famille de Guido Palmino (grand père de Scarpetta)

·       Membres fondateurs de l'Amicale des Déportés Résistants du Train Fantôme, ayant « ressuscité » cette histoire, rassemblé les survivants et leurs descendants, recueilli leurs témoignages, et dépositaires des archives écrites et audio-visuelles : Charles Teissier ( témoin, à l'âge de 12 ans, du passage des déportés à Sorgues, et qui a donné, 40 ans après, l'impulsion de ce travail de mémoire ; actuellement secrétaire de l'Amicale, gardien de ses archives), Edith Silve (trésorière de l'Amicale, épouse de Robert Silve, le principal artisan de cette résurrection, dispose aujourd'hui de l'ensemble des témoignages écrits).

Descendants ou parents de déportés du Train, susceptibles d'évoquer la façon dont cette mémoire s'est transmise : Jean-Daniel Simonet (Paris), Chantal de Roquemaurel (Paris), Serge Borrani (Paris), Marie-Rose Pozuelo (Paris), Nadia Titonel (Lot-et-Garonne), Pierrette Leurion (Bayonne), Silvia Nitti (Rome), les enfants de Mossolin (région toulousaine) et de René Lafond (Bordeaux), France Gouyet née Baiocchi (Saint-Etienne), etc.


 Un grand remerciement à l'équipe technique du film:
Chef opérateur: Thierry Maybond
Ingénieur du Son: Didier Baules
Montage Fred Gobin

Générique du film :


Une coproduction
France Télévisions et alkimia productions

Un film de
Jorge Amat

Ecrit et présenté par Guy Scarpetta

TITRE
LES RESISTANTS DU TRAIN FANTÔME

Produit par
ALKIMIA PRODUCTIONS

******

GENERIQUE DE FIN


Un film réalisé par
Jorge AMAT

Ecrit et présenté par
Guy Scarpetta

Scénario écrit par
Guy SCARPETTA et Jorge AMAT

Conseillère historique
Christine LEVISSE-TOUZE

Image
Thierry MAYBON

Son
Didier BAULES

Montage
Fred GOBIN


Musique originale composée par 
Jean-Louis VALERO

Moyens techniques
Master Films
Loca Images
Numeriphot
Didier Baules

Moyens techniques France Télévisions
Direction des opérations

Filière Production

Responsable post-production
Alain Bonnet

Post-production vidéo

Etalonnage
Fabrice AUDOUIN

Montage son et mixage
Jean-Marc DUSSARDIER

Titrage
Noëlle LOUISOR

Infographie
Alex BABELOT

Archives
Archives Madelyn Most 1992
(Entretiens filmés par Madelyn Most)
Amicale des Déportés Résistants du Train Fantôme
Library of Congres
United States, Department of the Army
United States, Army Air force
The train (John Frankenheimer)
National archives and records administration
Nazi concentration camps
La bataille du rail (René Clément) - LCJ Editions & Productions
Archives Jorge Amat


Remerciements

Amicale des Déportés Résistants du Train Fantôme
Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du Camp de Concentration du Vernet d'Ariège
Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France (FFI)
Synagogue de Bordeaux et Consistoire Israélite du Sud-Ouest
Ecole Nationale de la Magistrature, Bordeaux (Fort du Hâ)
Musée de la Résistance de Toulouse.

Ville de Toulouse

SNCF Gares et connexions
Marie-Françoise Brun – Directrice des gares
SNCF Mobilités Midi-Pyrénées – Agence Communication Régionale
Jean-François Lagadic


Une coproduction
France Télévisions
Alkimia Productions

ALKIMIA PRODUCTIONS
Paco FERNANDEZ
Pascal RICHARD

France Télévisions
Coordination éditoriale France 3 Sud-Ouest
Laurence Mayerfeld

Délégué Régional France 3 Midi-Pyrénées
Carlos Bélinchon

Administratrice de l’antenne
Laurence de Portu
Assistée de Marie-France Guiseppin

Communication
Véronique Quillet
Evelyne Goll




Avec la participation du
Centre National de la Cinématographie et de l’Image Animée
Avec le soutien
de la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, en partenariat avec le CNC
Avec le soutien
de la PROCIREP – Société des producteurs

Avec le soutien
de l’ANGOA
Avec le soutien
de la FONDATION POUR LA MÉMOIRE DE LA SHOAH
Avec la participation
du ministère de la défense,
secrétariat général pour l’administration, direction de la mémoire,
du patrimoine et des archives
© France Télévisions / Alkimia Productions / 2016








1 commentaire:

  1. Magnifique rendu d'une histoire sordide parmi toutes les autres.
    Devoir de mémoire viscéral et obligatoire.
    Information des plus jeunes générations.
    Grand merci pour votre documentation.

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